Culture de la charrette

06/03/2023

La culture de la charrette en école d'architecture, la santé physique et mentale des étudiants, et ce qui pourrait être fait

La charrette est une période de travail intensif pour un rendu qui peut conduire à une privation partielle ou totale de sommeil.

La culture de la charrette, encore présente dans toutes les écoles d'architecture, est héritée des Beaux-Arts : la charrette qui servait à transporter les rendus le jour du jury a fini par désigner la dernière nuit de travail avant le jury, et, par extension, les heures de sommeil perdues pour travailler le projet.

Le fonctionnement des Beaux-Arts au XIXéme et XXème siècle se basait sur un système très vertical, où la pratique du projet en atelier occupe la majeure partie du temps d'enseignement. Chaque atelier est dirigé par un maître, professeur et praticien qui a autorité sur les apprentis. Les élèves sont mis en concurrence par l'organisation de concours fréquents, le plus prestigieux étant celui du prix de Rome.

La prédominance du studio, l'autorité du maître et le système de concours poussés à l'excès, en parallèle des changements sociaux à l'œuvre dans le pays, ont conduit après mai 68 à une refonte de l'organisation de l'enseignement de l'architecture.

La culture de la charrette, elle, a perdurée. Plusieurs facteurs l'expliquent : la pression mise sur les élèves qui ont intégré une formation « élitiste », l'écrémage officieux en licence pour se débarrasser des plus faibles, la centralité donnée par les enseignant•e•s au studio, certains professeurs qui reproduisent les schémas qu'iels ont connus comme étudiant•e•s ou la volonté de s'adapter aux conditions du monde professionnel de l'architecture,

L'Union Nationale des Etudiants en Architecture et Paysage (UNEAP) a lancé en 2017 une grande enquête sur la santé des étudiant•e•s en architecture. Cette enquête a recueilli 5435 réponses, soit un tiers de tous les étudiant•e•s en architecture de France.

L'enquête établit des chiffres très alarmants :

  • Les étudiant•e•s en architecture dorment en moyenne 6 heures et 23 minutes par nuit, ce qui est une heure de moins que la moyenne donnée par l'INSEE.
  • 41 % des étudiant•e•s en archi dorment moins de 3 heures plus de deux nuits par mois.
  • Durant toute la semaine qui précède un gros rendu, 38% des étudiants en architecture dorment en moyenne moins de 4 heures par nuit, tandis que seulement 18% dorment plus de 6 heures par nuit.
  • Pour remédier au manque de sommeil, 8,8% des étudiant•e•s en architecture déclarent avoir recours à des médicaments (hors vitamines), 5,1% à l'alcool et 3,8% aux drogues.
  • Sur une échelle de 0 à 10 (10 étant le niveau de pression maximale), 68% des étudiant•e•s en architecture situent leur niveau de pression à 7 ou plus.
  • 75,5% des étudiant•e•s en architecture disent ressentir un impact physique lié au stress (fatigue, maux de dos, prise/perte de poids importante, instabilité émotionnelle, insomnie, incidents spécifiques liés à la charrette : coupures graves lors de production de maquette, incidents dans la manipulation des matériaux, et rarement accidents graves : accidents de voitures à cause de la fatigue, perte de la vue, AVC)
  • 23,1% des étudiant•e•s en architecture ressentent le besoin d'aller voir un spécialiste de la santé. Parmi ces spécialistes, le psychologue est le plus cité, suivi du kinésithérapeute, de l'ostéopathe et du médecin généraliste. L'accès aux personnels de santé par les étudiant•e•s est souvent difficile, et leur disponibilité est limitée
  • Les conséquences psychologiques et psychiques sont également importantes. Une baisse de moral très importante et générale peut être notée. On peut relever des cas de dépression, de burn-out, de développement ou de résurgence de troubles mentaux tels que des cas de bipolarité, troubles du comportement alimentaires, troubles obsessionnels compulsifs, automutilation, suicides et tentatives de suicides - peut-être plus en architecture qu'ailleurs, alors que dans l'ensemble les étudiants français sont déjà 15% à présenter les symptômes de la dépression et 5% ont déjà pensé à se suicider (selon l'Observatoire National de la Vie Étudiante en 2018), et ce avant le Covid, des chiffres qui sont bien plus importants que dans le reste de la population.

La culture de la charrette et le folklore qui l'accompagne crée aussi des rapports de pouvoir, un brouillage entre la vie personnelle et professionnelle et une culture de la compétition qui favorise les dérives, notamment le harcèlement et les agressions sexistes et sexuelles.

Quelles sont les solutions ?

La fiche « Stratégie nationale pour le bien-être et la santé 2020-2025 » de l'UNEAP (trouvable en ligne) est très bien faite et très complète, nous rejoignons leurs conclusions.

Nous souhaitons insister sur le manque de moyen et la mauvaise organisation qui limite l'accès aux professionnels de santé et notamment aux psychologues, alors même que la culture de la charrette et l'état d'esprit de l'enseignement de l'architecture est plus destructeur pour le corps et l'esprit que d'autres formations.

La place centrale accordée au studio de projet nous semble aussi à questionner : le nombre d'heures travaillées ne correspond pas, de loin, à la proportion d'ECTS accordées au studio : la proportion ne dépasse jamais 45% par semestre, alors que les étudiant•e•s rapportent passer bien plus de la moitié de leur temps travaillé sur le projet. La diversification des études avec des ECTS dédiés au sport, aux associations, à la vie collective nous semble nécessaire.

Au-delà, c'est en changeant les écoles que l'on changera la profession : en combattant la culture de la charrette et ses conséquences désastreuses pour la santé, mais aussi la culture verticale, parfois malsaine et emprise de sexisme, de racisme et de mépris de classe des studios de projet que l'on retrouve trop souvent dans le monde du travail.



Sources :

Les deux notes de l'UNEAP sur l'enquête et les propositions

L'enquête de l'Observatoire National de la Vie Étudiante

L'article du Monde centré sur Belleville : (payant, retrouvez le gratos sur le drive)

Un article de l'Etudiant

Un mémoire sur l'héritage des Beaux-arts dans la culture de la charrette 

Un mémoire sur l'équivalent américain de la charrette, la studio culture, et comment elle a été combattue

 

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